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[Fanfic] Pour une nuit
Fandom: Daredevil (TV), Supernatural
Nombre de mots : 6 940
Type : OS
Rating: Teen And Up Audiences
Avertissements : No Archive Warnings Apply
Relation : Karen Page/Sam Winchester
Tags additionnels: Fluff, One Night Stands, Fade to Black
Résumé:
Quand Karen s'arrête à un bar pour faire une pause, elle ne s'attendait pas à tomber dans le lit d'un étranger énigmatique.Notes : J'avais écrit cette fic pour le challenge Into a bar de 2021 avec le prompt suivant : "Into a bar prompt: Sam Winchester goes into a bar and meets... Karen Page (Daredevil)"
Comme vous pouvez le constater, je ne l'ai pas finie à temps mais je me suis quand même bien amusée à l'écrire. J'espère que les quelques lecteurs et lectrices francophones qui tomberont dessus l'apprécieront aussi.
Lien AO3 : Pour une nuit.
Karen coupa le contact de la voiture et resta assise quelques secondes, les yeux dans le vide. Ce n’était pas souvent qu’elle quittait New York pour prendre des vacances, surtout depuis tout ce qui s’était passé avec Matt, Foggy, Elektra, Fisk, et Frank… La jeune femme avait eu envie de disparaître et oublier pendant quelques jours que c’était sa vie maintenant. Elle ne l’avait pas vraiment choisie au départ mais il était aussi vrai qu’elle n’avait pas vraiment essayé d’en partir.
Elle se mit à rire quand cette pensée lui traversa l’esprit. N’importe qui aurait préféré s’enfuir mais elle, il fallait qu’elle pourchasse la vérité même si ça la mettait en danger. Son instinct lui intimait de continuer même quand il fallait arrêter. Foggy et Marcy avaient eu raison de la pousser à prendre des vacances loin de New York. Bien entendu, elle s’était quand même inquiétée pour eux, mais au moins elle avait pu se reposer. Un peu. Mais voilà, elle devait bien retourner travailler. Et puis, ces derniers jours, quelque chose en elle lui intimait de faire quelque chose, une agitation sous la peau qui lui demandait de trouver un sujet et de le poursuivre jusqu’au bout.
La porte du bar s’ouvrit d’un coup, laissant échapper le brouhaha des conversations et des rires à l’extérieur, comme un chant de sirènes pour Karen. Elle dormait dans un motel ce soir, et bien que la chambre fût tout à fait convenable, elle n’avait pas envie de passer la soirée seule. Voilà pourquoi elle se retrouvait là, à un bar dans la ville la plus proche, encore dans sa voiture à réfléchir sur sa vie.
Un sourire amer fleurit sur le visage de Karen. Ce n’était pas la peine de tergiverser. Elle était techniquement encore en vacances. Elle pourrait se torturer le cerveau le lendemain matin tout à son loisir. Connaissant Matt et Foggy, elle en aurait sûrement envie de repartir tout de suite en vacances.
Quand elle entra dans le bar, elle fut surprise de l’ambiance assez sympa qui s’en dégageait. Même si on était vendredi soir, il semblerait que c’était bien moins frénétique qu’à Rosie’s. Et plus propre aussi, pensa-t-elle quand elle se rendit compte que ses chaussures ne collaient pas au sol quand elle alla jusqu’au comptoir.
L'agencement était agencé assez classiquement : le comptoir se situait tout au fond de la pièce, avec des chaises hautes déjà occupées par des clients pour la plupart. Juste à côté se trouvaient des tables composées de deux à six places, presque toutes prises par des groupes de personnes. Un jukebox adornait le mur mais il ne semblait pas en état de marche. La musique moderne était plutôt diffusée par les enceintes accrochées à plusieurs endroits stratégiques sur les murs. Un escalier menait à un premier étage où semblaient se trouver les jeux tels que les fléchettes et le billard. D’ailleurs, il y avait un petit attroupement autour d’une table.
Ça lui rappelait toutes les soirées passées à jouer au billard avec Matt et Foggy. C’étaient bien les seuls moments d'insouciance, les seuls instants où ils pouvaient oublier leurs activités journalières et ce qui les attendait le lendemain.
Karen soupira. Ce n’était pas sain de penser sans cesse à Murdock & Nelson. Décidant de ne pas se laisser encore détourner de son objectif, Karen se dirigea vers le comptoir et attira l’attention du barman.
— Qu’est-ce que je peux vous servir ? lui demanda-t-il.
— Un martini, répondit Karen.
Le barman prépara rapidement le martini et la posa sur le comptoir, puis présenta le lecteur de carte pour qu’elle puisse payer. Une vague soudaine de voix fortes lui fit lever les yeux vers l’étage mais tout sembla se calmer assez rapidement. Karen prit sa boisson et s’assit sur une des chaises hautes encore libres.
Elle sirota son martini tout en consultant son téléphone. Marcy et Foggy lui avaient envoyé un message, mais aucun venant de Matt. Malgré elle, elle était déçue et Elle aurait dû s’y attendre. Il n’avait jamais été un très grand communicant, et ça n’allait pas changer. Elle aurait aimé qu’il lui envoie un message, juste pour lui demander comment ça allait. Elle en demandait sûrement trop, surtout depuis qu’aucune relation romantique ne pouvait exister entre eux. Elle avait juste pensé que leur amitié lui garantissait un peu d’attention. Elle ressentit un pincement au cœur à cette pensée. Même si leur relation était plus que houleuse, entre une amitié avec une attraction sexuelle et une relation amoureuse sans confiance, Matt lui manquait beaucoup.
De nouveaux cris venant de l’étage se firent entendre, et même le barman leva la tête, les sourcils froncés. Karen jeta un coup d’œil mais de là où elle était, elle ne pouvait voir qu’un attroupement. Une petite voix en elle lui chuchotait d’aller voir, quelque chose d’intéressant s’y passait. C’était cette même petite voix qui l’avait poussée à dénoncer son entreprise, celle qui avait insisté à devenir l’assistance et l’hôtesse d’accueil de Nelson & Murdock, celle qui l’avait prévenue que Matt avait un secret.
Même lorsque les voix se calmèrent, Karen avait juste envie de monter les marches et regarder ce qui se passait à l’étage. Elle débattit encore quelques instants avec elle-même avant de prendre sa boisson et rejoindre la petite foule.
Tout comme au rez-de-chaussée, l’étage était aménagé simplement. D’un côté se trouvait trois cibles pour les fléchettes, de l’autre, deux tables de billard occupées. Dans un coin, il y avait même une borne d’arcade qui semblait être livrée avec un jeu de combat qu’elle ne connaissait pas.
Un grondement attira son attention vers l’une des tables de billard. Deux hommes semblaient un peu en colère contre un troisième qui levait les mains en signe d’innocence. Soit le troisième homme était un géant, soit les deux autres étaient petits. Quand elle arriva près des joueurs, elle comprit que c’était les deux. L’homme à la mine innocente était grand, assez musclé et se tenait presque recroquevillé sur lui-même malgré sa taille, ses cheveux mi-longs cachant à moitié son visage.
— Si vous voulez parier à nouveau, on peut. Je ne suis pas contre. Ça vous donne l’opportunité de reprendre ce que vous avez perdu, dit-il d’une voix douce mais portante.
Les deux autres hommes, un petit blond et un brun légèrement plus grand que lui se regardèrent et chuchotèrent entre eux. Pendant leur conversation, le troisième homme, que Karen allait surnommer Shaggy, changea d’attitude. Fini la gueule d’ange innocente, voilà maintenant un regard calculateur. Il se portait même avec plus d’assurance qu’auparavant, comme s’il avait lâché sa mue. Intéressant. Il avait complètement changé sa façon d’être, et il changea à nouveau quand les deux autres joueurs se tournèrent vers lui.
— OK, mec, on va rejouer, mais cette fois, pas de trucs bizarres, hein ?
— Promis, répondit Shaggy avec de grands yeux. Je ne suis vraiment pas un expert en billard, c’est juste la chance du débutant.
L’homme brun parla dans sa barbe, et Karen pouvait parier que ce n’était pas un compliment envers Shaggy.
— Allez, vous pouvez même commencer, dit Shaggy après avoir replacé les boules au milieu de la table. Et je parie 50 dollars.
Il déposa des billets sur le coin de la table, bien en évidence, le geste délibéré. Le petit blond déposa lui aussi 50 dollars, une expression arrogante sur le visage. Le brun sembla hésiter au début mais suivit le pari.
L’homme blond cassa les boules, et la partie recommença. À mesure que la partie avançait, quelque chose commença à gêner Karen. Shaggy avait parfois certaines manières de jouer qui démontraient qu’il savait très bien jouer, et l’instant d’après, il allait perdre sur une boule facile. Les deux hommes ne semblaient pas avoir remarqué ses manigances. Ils étaient sûrement trop alcoolisés pour vraiment se rendre compte qu’ils étaient en train de se faire arnaquer. Elle comprenait mieux pourquoi ils s’étaient énervés au départ, et pourquoi ça avait fait jaser.
Elle fut étonnée d’être aussi amusée par ce comportement. En temps normal, elle avait tellement horreur des arnaques et des arnaqueurs. Ils s’attaquaient toujours à plus faibles, plus désespérés, plus pauvres qu’eux. Ils profitaient et se servaient des autres comme s’ils n’étaient que des transactions, que des marches sur lesquelles ils pouvaient monter pour s’enrichirent encore plus.
L’arnaque au billard de Shaggy devrait énerver Karen, et pourtant… Cela venait sûrement de Shaggy lui-même qui semblait plus amusé qu’autre chose. Il n’y avait pas de haine sous-jacente, d’expression vicieuse.
Karen se rapprocha et continua d’observer le jeu. Ce fut la première fois que Shaggy la remarqua. Il jeta un coup d’œil impassible autour de la salle, comme pourrait le faire Frank, et s’arrêta à peine quelques secondes sur Karen et continua de jouer comme si de rien n’était. C'était trop rapide pour qu’elle puisse lire ses émotions. Il rata une autre boule facile, et Karen ne put empêcher un sourire qu’elle cacha derrière sa main libre. Shaggy lui envoya un clin d’œil. Tout d’un coup, elle comprit qu’il savait qu’elle savait. Ça ne semblait pas le gêner. Au contraire, il semblait s’en amuser. La curiosité de Karen ne fut qu’aiguisée. Généralement, les arnaqueurs n’aiment pas que tu comprennes leurs magouilles, surtout si leurs victimes n’ont pas encore fini de payer.
Il perdit cette partie-là et la suivante. Les deux hommes contre qui il se battait prirent confiance à nouveau. Ils faisaient de plus en plus d’erreurs aussi car à mesure qu’ils voyaient leurs gains augmenter, ils célébraient en buvant. Shaggy, lui, était resté bien sobre, un regard calculateur à chaque fin de partie. Sur le coin de la table, les billets s’étaient accumulés.
— Bon, les gars, je crois que je vais arrêter là, vous m’avez bien eu, commença Shaggy avec une expression contrite. Je vais plus avoir d'argent sur mon compte en banque à cette vitesse.
Il prit bien son temps pour reposer sa queue de billard à son emplacement. Les autres hommes s’échangèrent des regards, puis l’homme brun ouvrit la bouche :
— Allez, tu f’rais bien une der’ ? Et pour la der, on met 100 dollars chacun.
Shaggy leva les mains et secoua la tête pour dire non.
— Désolé, les gars, j’ai déjà beaucoup trop perdu ce soir.
— On parie 10 balles chacun, dit l’homme blond, et si tu gagnes, j’mettrais 100 dollars de plus.
Quelque chose passa dans le regard dans Shaggy, et Karen sut à ce moment-là qu’il les avait amenés là où il voulait. Une espèce d’anticipation qui lui tordit l’estomac. Elle savait à quoi s’attendre, et pourtant, elle fut surprise malgré tout de sa réponse.
— OK, je vous suis, mais c’est la dernière fois. Je n’ai pas envie de perdre plus que ça.
Shaggy déposa la même somme sur la petite tour que commençaient à former les autres billets.
— On t’laisse l’honneur de casser les boules.
L’homme blond mit les boules en place dans le triangle puis le retira, se décalant pour laisser la place à Shaggy. Ce dernier leur sourit et cassa les boules après avoir récupéré la queue qu’il avait utilisée jusque-là. De là où elle était, Karen pouvait voir que c’était un cassage assez bon ; des coups extrêmement faciles tout comme certains demanderaient un peu d’ingéniosité.
Shaggy lui jeta un regard avant de faire tomber facilement les trois premières boules de couleur unie. Ses adversaires froncèrent les sourcils, la suspicion grandissante, mais ils ne semblaient pas très gênés pour l’instant. Shaggy tapa une boule qui n’était pas à lui, et ce fut au tour de l’homme blond. La suite se passa de manière similaire. Personne ne prenait vraiment le dessus, mais les deux autres hommes commençaient à s'inquiéter. C’était un motif qu’ils avaient déjà vu et qui signalait qu’ils allaient perdre. Le jeu de Shaggy était assez risqué, surtout que ses adversaires étaient alcoolisés, et les hommes alcoolisés pouvaient devenir dangereux.
Quand Shaggy mit sa dernière boule avant les deux autres, ça ne rata pas. Il mit la main sur la pile de billets et les fourra dans sa poche arrière de jeans.
— Putain ! s’écria l’homme blond, en serrant la queue de billard au point de blanchir ses phalanges. C’est quoi cette connerie ?! Tu perds, tu perds, et là, tu gagnes ? À nouveau ?
C’était comme si ce fut la révélation chez l’homme brun, comme si les paroles de son ami venaient de lui faire comprendre l’arnaque qu’ils venaient de subir.
— C’est une putain d’arnaque ! Le mec nous a arnaqués !
L’homme blond ne sembla pas y croire et s’approcha de Shaggy d’un air menaçant. Vu la différence de taille, Shaggy se sentait vraiment menacé, mais elle supposait que tout le monde était capable de se défendre. Elle en avait bien la preuve avec Matt et Elektra. Bien sûr, ils détenaient des pouvoirs, tout comme Jessica, mais ce n’était là que le dénominateur commun ; dans le monde de Karen, n’importe qui pouvait détenir des pouvoirs, n’importe qui pouvait se révéler plus fort qu’il n’y paraissait.
— Je peux comprendre pourquoi vous pouvez penser ça, tempéra Shaggy, en essayant de les calmer, un sourire les lèvres.
Malheureusement, ce sourire semblait la goutte qui fit déborder le vase.
— Tu te fous de notre gueule en plus ?! Rends-nous notre argent, connard !
Shaggy fronça les sourcils légèrement sans réellement se départir de son sourire, même s’il avait diminué en intensité.
— J’ai gagné la partie, et je n’ai pas triché. C’est terminé. Je ne cherche pas les ennuis.
Karen doutait qu’il disait la vérité. S’il ne cherchait vraiment pas les ennuis, il n’aurait pas essayé d’arnaquer ces deux hommes.
— Putain ! cria l’homme brun. Fais pas genre, mec. Rends notre argent, sinon…
Il laissa la phrase en suspens, comme une menace. Shaggy sourit, de bienveillant, il était devenu narquois, dur, froid. C’était comme si Shaggy avait grandi, profitant de sa taille pour surplomber ses adversaires. Il avait même reposé sa queue à son emplacement. Malgré tout, il semblait plus menaçant que les deux hommes.
Karen serra les mains autour de son verre avec anticipation.
— Ou sinon quoi ?
L’atmosphère changea du tout au tout. D’une ambiance assez bonne enfance, on était passé à une ambiance tendue, lourde. Toutes les personnes à l’étage s’étaient arrêtées de jouer et regardaient maintenant en silence l’échange qui était en train de se passer. Personne n’était aveugle, on savait comment cette altercation pouvait se terminer, et certains n’étaient clairement pas à l’aise avec cette situation. Dont l’homme blond qui était en train de reposer sa queue sur la table de billard en déglutissant, soudainement intimidé par le géant en face de lui.
— Hé ! Jack, lâchons l’affaire, ça ne sert à rien.
L’homme brun, Jack, se tourna vers son ami, le regard presque fou.
— Qu’est-ce que tu racontes, mec ? Il vient de nous dépouiller et tu veux le laisser s’en sortir comme ça ?!
Jack se retourna vers Shaggy quand son ami ne lui répondit pas, le regard fuyant, et brandit la queue comme une arme. Acculé, Shaggy se tendit, le regard menaçant. Karen eut envie d’intervenir, d’arrêter les frais avant que les coups pleuvent. La tension grandit. Même si l’homme blond s’était éloigné, son ami et Shaggy ne semblaient pas prêts à désamorcer la situation. Karen posa son verre sur une des chaises et rejoignit la table de billard.
— Hé ! s’écria-t-elle pour attirer leur attention.
Un silence expectatif tomba sur la foule qui s’était rassemblée pour regarder ce spectacle. Certaines personnes chuchotèrent entre elles, leurs regards fixés sur elle. Karen n’aimait pas sentir l’attention sur elle, même si, dans son métier, c’était parfois nécessaire d’attirer l’attention du public sur une affaire en particulier.
Shaggy lui lança un regard d’avertissement mais Karen s'en fichait. Il avait l’air détendu mais elle voyait bien comment ses épaules étaient tendues, et la tension autour de sa bouche et de ses yeux. Jack se tourna vers elle, surpris, comme s’il ne l’avait pas vue, puis il fronça les sourcils.
— Tu ne devrais pas t’en mêler, ma poule, fit Jack.
Karen eut un sourire crispé.
— Premièrement, ne m’appelle jamais « ma poule ». Deuxièmement, je suis ici pour vous proposer un marché.
— Un marché ? Avec qui ? demanda Shaggy, en plissant les yeux, méfiant.
— Toi, répondit-elle en le regardant, se moquant complètement de la politesse.
Elle avait pensé qu’il ne s’en formaliserait pas. Shaggy sembla se détendre ; il laissa tomber ses mains le long de son corps, et un sourire narquois vint se loger sur ses lèvres.
— Tu penses vraiment pouvoir me battre ?
— Peut-être.
— Qu’est-ce que tu y gagnes ?
Au lieu de répondre, elle fouilla dans son sac et sortit deux billets de 50 dollars qu’elle posa sur le coin de la table, là où s’était trouvée la pile.
— Le gagnant récupère l’argent et fera ce qu’il ou elle veut avec.
Shaggy l’observa des pieds à la tête ; mais ce n’était pas sexuel ou condescendant, plus comme une manière de la jauger. Peut-être même qu’il se demandait si ça valait le coup. Probablement pas s’il voulait garder tous les gains pour lui.
— Mais t’es folle ! s’écria l’homme blond, il nous a arnaqués, il va juste gagner notre argent et ton argent, madame.
C’était incroyable comme il arrivait à dire « madame » comme une insulte. Une autre personne plus rancunière qu’elle aurait pu changer d’avis et lui dire se débrouiller tout seul. Mais elle n’était pas rancunière. Pas vraiment.
— Je vais t’arrêter tout de suite. Je suis intervenue pour vous aider, alors si tu continues à me douter, je vais vous laisse vous démerder avec lui, fit-elle en faisant un geste vague vers Shaggy. Vous vous débrouillez très bien avant.
Shaggy s’était posé contre le mur pour regarder la conversation, toujours un petit sourire amusé sur les lèvres. Karen sentit son ventre se nouer à cette vision.
— Parce que, toi, tu penses pouvoir gagner ? ricana l’homme brun, en la détaillant lui aussi de la tête au pied, mais pas avec la même intention.
— Puisque vous le prenez comme ça, fit-elle en récupérant les deux billets.
Apparemment, ils ne voulaient pas de son aide alors que Karen n’avait plus de pitié pour eux, et Shaggy pouvait bien prendre leur argent, ça ne la concernait pas.
— Attends, fit Shaggy avant qu’elle ne s’en aille, la surprenant. Jouons. Je pense que j’ai encore une dernière partie en moi.
Karen retourna à la table.
— Le gagnant fait ce qu’il ou elle veut avec l’argent, c’est d’accord ? demanda-t-elle à nouveau pour qu’il donne son accord verbalement devant tout le monde.
Elle n’avait pas envie qu’il retourne la situation en disant qu’il n’avait jamais dit oui. Shaggy grimaça, puis soupira.
— C’est d’accord.
Il ne semblait pas heureux de ce marché mais il acceptait quand même. Étrange. Il aurait pu partir avec l’argent qu’il avait déjà accumulé. Mais il était aussi probable que Jack et son ami l’auraient poursuivi.
— Si je gagne, fit-elle alors à Jack et son ami, je partagerai mes gains avec vous. Équitablement. Et vous rentrerez chez vous.
Les deux hommes n’avaient pas l’air convaincus. Peut-être parce qu’ils la sous-estimaient. Préférant ne pas se préoccuper d’eux, elle s’empara d’une queue et leur dit que s’ils n’étaient pas contents, ils n’avaient qu’à rejouer eux-mêmes ou partir. Après quelques mots grognés dans leur barbe, ils acquiescèrent et s’assirent à côté pour observer le jeu.
Shaggy la fixait toujours des yeux. Ce n’était que maintenant qu’elle remarquait qu’ils étaient de couleur vert gris. Ce n’était pas un regard malaisant. Il semblait plus curieux… ou suspicieux, Karen avait du mal à le lire.
— Je m’appelle Sam, se présenta-t-il en tendant une main vers elle.
Elle fut surprise par ce geste. Elle venait juste de l’interrompre dans son échappée, mais il restait poli. C’était une surprise agréable. Elle avait malheureusement remarqué que peu d’hommes supportaient d’être coupés dans leur plaisir, surtout quand c’était une femme, et d’autant plus, quand ils ne pouvaient plus s’en tirer sans problème.
— Karen, répondit-elle en lui serrant la main.
Sa main fut engloutie par celle de Sam, mais il ne fit pas preuve de force et ne lui fit pas mal exprès. Plus les choses avançaient, plus Karen se rangeait plutôt du côté de Sam. Il était charmant, surtout quand ses fossettes ressortaient lorsqu’il souriait. Ça le rajeunissait, lui donnait un petit air de jeune homme sans insouciance.
— Enchanté, Karen.
Sam récupéra toutes les boules, les replaça dans l’ordre dans le triangle et les fit rouler au centre de la table. Après avoir placé la boule blanche l’opposé du sommet du triangle, il retira le triangle et d’un geste de la main, l’invita à casser les boules.
Même si elle savait jouer au billard, tout ce temps passé avec Foggy et Matt, une certaine nervosité l’avait gagnée. Elle avait confiance en ses compétences, mais beaucoup moins en Sam. Allait-il aussi tenter de l’arnaquer ?
Karen se plaça devant la boule blanche et tira, le coup d’envoi de la partie.
Très rapidement, Karen se rendit compte que Sam jouait un peu plus à son niveau. Il ne commettait plus les erreurs de débutant de la partie précédente. Pour autant, il ne prenait pas le dessus. Ils arrivèrent à un moment où il ne leur restait qu'une boule chacun, et le 8 noir. Ils se retrouvaient à égalité, et aucun n’avait droit à l’erreur.
Karen souffla en jetant un coup d’œil à Sam. C’était à son tour de jouer. Sam étudia la position des trois boules, puis choisit une position à la table du billard et se pencha dessus, la queue positionnée sur la table. Le souci, c’est que la boule noire se trouvait sur le chemin de la boule de Sam. S’il arrivait à la passer, il aurait gagné. Sam lança un regard rapide vers Karen avant de se reconcentrer sur la table. Karen, Jack et son ami le regardèrent, tendus.
Il tentait un coup risqué. Sam aligna la tête de la queue sur la boule blanche et donna un petit coup sec, juste en dessous de la boule. Celle-ci partit avec un petit saut, tapa la boule noire, qui la dégagea du chemin, et frappa dans sa propre boule.
Karen retint son souffle à mesure que la boule roulait jusqu’au but pour s’arrêter à un millimètre à peine de la poche qui lui aurait valu une chute. Sam se releva, une expression de dépit sur le visage. Il savait qu’il avait perdu. C’était un coup facile pour Karen. Celle-ci ne se fit pas prier et rentra sa dernière boule. Karen gagna.
Il y eut un silence soufflé, puis des cris d’encouragements et de victoires. C’était comme si la foule qui était venue voir le match était enfin libérée. Tout le monde vint la voir, l’entourant, la félicitant, lui offrant des verres, oppressif, suffocant. Elle les remercia rapidement et s’exfiltra dans la foule. Quand elle fut enfin sortie du groupe, elle put enfin respirer. Voir Jack et son ami fêter autant que les autres la firent presque rire. Eux qui avaient été prêts à en découdre parce qu’ils avaient perdu donnaient l’impression qu’ils avaient gagné eux-mêmes la compétition.
Sam vint la voir et lui tendit la liasse de billets qu’il avait remportée avant de jouer contre elle. Karen prit l’argent avec un sourire reconnaissant.
— Tu n’as pas essayé m’arnaquer ?
Sam sourit.
— Je n’avais pas envie de le faire.
Karen remit une mèche qui s’était échappée derrière son oreille, alors que ses joues chauffèrent légèrement.
— Je ne sais pas comment je dois le prendre, répondit-elle.
— Comme un compliment. Ces deux-là, fit-il en montrant Jack et son ami d’un geste du menton, méritaient leur correction. À mon avis.
— Qu’est-ce qu’ils t’ont fait ?
Sam haussa les épaules.
— À moi ? Rien.
Karen voulut lui demander plus de détails mais elle fut interrompue par Jack et son ami blond.
— Hééé ! Mais c’est la championne ! s’écria Jack en riant un peu trop fort. Se faire battre par une demoiselle, ça doit faire mal, non ?
— Sachant que je vous ai battus juste avant, je ne crois pas que ça soit une aussi bonne insulte que tu le penses.
Comme s’ils venaient juste de comprendre l’implication de la victoire de Karen, les deux hommes se turent, honteux, les yeux qui évitant leur regard. Karen eut pitié d’eux alors qu’elle ne devrait pas, et leur donna la part qu’elle leur avait promise après avoir compté les gains. Ils partirent presque la queue entre les jambes.
Karen se retourna pour parler à Sam mais ce dernier était déjà en train de reprendre ses affaires. Si elle ne le retenait pas, il partirait et elle ne le reverrait sûrement jamais. Elle n’aimait pas ce que ça lui faisait ressentir. Elle n’avait pas envie de le laisser partir, pas tout de suite. Elle le rattrapa dans les escaliers.
— Sam !
Celui-ci s’arrêta et la regarda de manière inquisitrice.
— Tu as oublié tes gains, s'écria-t-elle quand elle ne sut quoi dire d’autre pour le retenir. J’ai bien promis de partager équitablement, non ?
Sam regarda la liasse de billets dans la main de Karen, qui s’était bien amoindrie, avec surprise.
— Je pensais que seuls Jack et Jill en auraient eu droit.
— Jill ?
— Son pote. Je n’ai pas retenu son nom, désolé, répondit Sam avec un sourire amusé, faisant ressortir sa fossette.
— J’ai dit que je le ferai, alors je le fais. Je suis une personne qui tient parole.
L’expression de Sam s’adoucit.
— Merci, mais ce n’est pas la peine. Garde l’argent. Tu m’as battue à la loyale, ces gains te reviennent.
— Et je veux partager ces gains avec toi. Je n’ai pas besoin de cet argent.
Sam ne semblait pas la croire.
— Garde-le, Karen.
— Si tu en as pas besoin, pourquoi est-ce que tu les as arnaqués comme ça ? demanda-t-elle en lui suivant quand il reprit la descente des escaliers.
— Si tu pouvais éviter de dire à tout le monde ce que j’ai fait, je t’en serais reconnaissant, fit-il à son oreille, à peine plus fort que la musique.
Des papillons dans le ventre s’agitèrent en sentant son souffle contre son oreille. Karen déglutit et tourna la tête vers Sam, qui resta là où il était. Avec leurs têtes à quelques centimètres l’un de l’autre, Karen sentit la tension grandir entre eux deux. C'était une tension bien plus intense et moins dangereuse que lors de la partie.
Au bout d’un moment, qu’il lui sembla durer des minutes, Sam recula et Karen décida qu’elle n’avait plus rien à faire de ce qu’on attendait d’elle.
— Et si je t’invite à boire un coup, tu accepterais de rester un peu avec moi ?
Une légère hésitation passa sur le visage de Sam, et Karen se demanda si elle n’allait pas bientôt se recevoir un râteau. Elle regretta presque de lui avoir demandé.
— Tu es sûre ?
— Allez, viens, sourit Karen.
Elle lui prit le bras et l’amena jusqu’au bar. Elle fit signe au barman qui lui indiqua qu’il arriverait bientôt.
— Seulement certaines personnes pourraient reconnaître une arnaque comme celle-ci, commenta Sam en attendant. Et faut avoir du courage pour confronter l’arnaqueur.
Il n’y avait aucune blessure dans son regard. L’ego de Sam avait l’air de bien se porter. Il semblait même impressionné.
— Je suis une régulière à un bar où des gens essaient d’arnaquer les autres. J’en rencontre aussi pas mal avec mon travail. C’est facile de les reconnaître. Je dois bien avouer que tu fais partie des meilleurs que j’ai eu l’occasion de rencontrer. Ils n’avaient aucune chance contre toi.
Karen eut peur d’en avoir trop dit quand le regard de Sam se voila légèrement.
— Oui, l’un des meilleurs, dit-il toujours pensif, comme s’il se remémorait quelque chose.
— Je vous sers quoi ? fit le barman en arrivant devant eux.
— Une bière, une blonde en pression.
— Un autre martini, répondit Karen en donnant assez d’argent pour couvrir les deux boissons.
Sam eut un sourire en coin à ce geste. Karen essaya de prétendre que sa réaction ne lui faisait rien.
Le barman appuya sur un des verres posés à l’envers sur le tapis pour l’asperger d’eau puis fit couler la bière dans le verre. Il posa le verre sur le bar à peine quelques secondes plus tard et Sam s’en empara.
— Pourquoi t'as fait ça ? L’arnaque, ajouta-t-elle en parlant plus bas, tout en regardant le barman préparer le martini.
— L’ennui, principalement.
— Juste l’ennui ?
Sam lui lança un regard amusé.
— Tu penses qu’il y a autre chose ? Non, vraiment, je m’ennuyais. Je me suis dit, pourquoi est-ce que je ne m’amuserais pas avec ces deux mecs. Ils étaient de parfaites—
Il se tut quand le barman revint avec le martini et le posa devant Karen.
— Victimes ? compléta Karen, ses lèvres à mi-chemin vers le verre.
Elle prit une gorgée, et quand elle releva les yeux, Sam sembla un moment hypnotisé, puis il secoua imperceptiblement la tête de gauche à droite.
— Non. Ils étaient des personnes parfaites pour jouer au billard.
Karen pouffa, aspirant presque son martini par le nez. Si le sourire de Sam était une indication, il était fier de son effet. Karen se leva, son verre toujours à la main, et lui tendit la main. Sam avait l’air un peu hésitant.
— Viens. Je te promets de ne pas t’arnaquer, ajouta-t-elle avec une pincée d’humour. Je veux juste danser un peu.
De la gêne passa sur le visage de Sam.
— Je ne suis pas très bon danseur.
— Ne t’inquiète pas, je ne m’attends pas à du rock and roll, juste un peu de danse, un petit slow tranquille.
— Sur cette chanson ? demanda Sam en levant ses sourcils.
Il était vrai que la chanson n’était pas vraiment faite pour danser des slows.
— Et alors ?
Sam eut un petit rire qui la fit sourire.
— Mon bras va s’ankyloser si tu continues à me donner un vent.
— On ne voudrait pas que ça arrive, répondit Sam en lui prenant la main, puis la bière dans l’autre. Même si je pense que tu as bien plus de force et de maîtrise que tu n’en parais.
Malgré elle, elle frissonna à ce compliment. Elle avait l'habitude de rejeter les compliments des hommes car elle les prenait plus comme des prisons, une manière de la manipuler pour qu’elle se taise la plupart du temps.
— La flatterie ne t’apportera rien, lâcha-t-elle alors qu’ils se positionnaient sur la piste de danse, dans un coin où ils pouvaient bouger sans gêner et sans être gêné par les autres.
Elle posa son bras libre autour du cou de Sam.
— Ce n’était pas mon intention, répondit Sam en chuchotant, en se baissant légèrement pour l’accommoder. J’ai du mal à mentir à de belles femmes.
Karen secoua la tête de gauche à droite, prenant une gorgée de son martini pour cacher ses joues rouges. Elle ne savait pas si elle était embarrassée ou flattée par ces mots.
— S’il te plaît, plaida-t-elle.
Sam ne dit rien d’autre et se rapprocha seulement d’elle. Ils continuèrent à danser ensemble. Karen avait fini son verre alors que Sam n’avait bu que la moitié. La tête lui tournait un peu. Elle avait juste envie de sourire et de s'amuser. Elle passa son autre bras autour du cou de Sam.
— Oh, Sam dit en se redressant soudainement, comme s’il avait été électrisé.
— Oups, rit Karen en ramenant le verre vers elle après l’avoir remis droit. Je pensais que j’avais tout vidé.
— Viens, on va tout déposer au bar.
Karen le suivit sans broncher. Elle déposa son verre mais ne recommanda rien. Elle avait envie de garder toute sa conscience ce soir, surtout vu la manière dont Sam la regardait. Ça faisait tellement longtemps qu’elle ne s’était pas sentie comme ça ; légère, heureuse. Elle arrivait presque à oublier sa vie, à oublier Matt, Foggy, Frank. C’était libérateur.
— Et maintenant ? demanda-t-elle.
Sam sembla hésiter avant de s’avancer vers elle et murmurer à son oreille :
— Je séjourne dans un motel près d’ici, si tu veux qu’on soit un peu plus tranquilles.
Même si Karen s’y attendait, et une partie d’elle l’avait espéré, elle hésita. Elle ne savait pas quoi répondre. Une autre petite voix en elle lui disait que ce c'était une mauvaise idée, qu’elle ne connaissait pas Sam, qu’il pourrait lui faire du mal, la violenter, ou pire….
Devant son silence, Sam fronça légèrement les sourcils et s’éloigna un peu d’elle, une expression un peu déçue sur le visage.
—Ne te sens pas obligée.
Karen secoua la tête et prit les mains de Sam dans les siennes.
— Non, ce n’est pas ça. C’est juste qu’on se connaît à peine et je n’ai pas pour habitude de faire ce genre de chose. Je n’ai pas un bon… historique avec les hommes.
C’était malheureusement trop vrai. Ce n’était pas juste Matt ou Frank, c’étaient les autres hommes qu’elle avait fréquentés et qui s’étaient servis d’elle comme d’un paillasson. Au final, Matt et Frank avaient été les meilleurs hommes qu’elle avait fréquentés, et même elle trouvait ça triste.
— Je ne veux pas te forcer, Karen, dit Sam, je comprends que tu ne te sentes pas en sécurité ou que tu n’aies pas confiance en moi. Après tout, je ne suis qu’un inconnu qui t’invite dans ma chambre de motel. On peut juste s’arrêter là si tu préfères. Je serais un peu déçu, bien sûr, mais ce n’est pas la fin du monde.
Sam souriait, un peu crispé, mais pas d’ego meurtri. Karen le considéra un instant. Quand Sam s’éclaircit la gorge sous son regard et se mit à regarder les bouteilles d’alcool alignées derrière le comptoir, Karen avait fait son choix.
— J’ai eu une idée, annonça-t-elle, s'attirant à nouveau le regard de Sam sur elle. Je vais envoyer un message à une amie pour lui dire où je suis et ce que je vais faire. Et je pourrais venir avec toi si ça te va.
Le sourire satisfait et radieux que Sam lui envoya lui fit presque oublier son appréhension au fait de suivre un homme qu’elle connaissait à peine dans son motel. Elle s’était dit que c’était mieux si elle allait avec lui. Au moins, il ne pourrait pas savoir où la retrouver s’il ne savait pas où elle séjournait. Elle prendrait sa propre voiture et ferait attention à garder son sac près d’elle pour avoir accès au pistolet et au Pepper spray qu’elle prenait avec elle constamment. Elle avait au moins de quoi se défendre si Sam s’avérait être un meurtrier. Et puis, elle savait qu’en envoyant le message à Marcy, elle était assurée que Matt serait aussi mis au courant s’il se passait quelque chose. Sam ne ferait pas le poids contre Daredevil.
— Ça me va. On se rejoint sur le parking ?
— Oui.
Sam partit en premier, disparaissant dans la foule. Karen avait la possibilité de s’enfuir si elle le voulait. Mais plus le temps passait, moins elle en avait envie. Comme prévu, elle envoya un message rapide à Marcy. Elle eut à peine le temps de le ranger que Marcy lui avait répondu un message. Une dernière réponse rassurante, puis Karen sortit à son tour du bar. Sur le parking encore bien rempli, elle essaya de repérer Sam mais ne le voyant pas, elle se dit qu’il l’avait peut-être abandonné, déçue malgré elle.
— Karen !
Elle se tourna vers la voix et trouva Sam appuyé contre une voiture noire. Elle le rejoignit, et se permit d’admirer le véhicule.
— Une Chevrolet ? On n’en voit plus trop des comme ça.
— Plus trop non. (Il sourit tristement.) Tu me suis ?
Il ne lui imposait pas de prendre qu’une seule voiture ? De mieux en mieux, pensa-t-elle.
— Je te suis.
Elle regagna sa voiture et attendit qu’il démarre pour le suivre. Ils étaient en train de rouler depuis quelques minutes quand Sam mit son clignotant droit pour tourner et entra sur le parking d’un motel. Ce n’était pas celui de Karen mais elle fut rassurée de reconnaître le nom. Elle l’avait vu en allant au bar, son motel était situé à un ou deux kilomètres d’ici. S’il lui arrivait quelque chose, elle pourrait partir sans trop de difficultés. Sam se gara, et Karen prit la place la plus proche.
— Ma chambre est au numéro 17, expliqua Sam en montrant la porte ornée du nombre.
La chambre de motel apparaissait propre et bien rangée. Seul un sac de voyage semblait prendre la place sur le deuxième lit.
— Deux lits ? C’est pour changer chaque nuit ? rit légèrement Karen.
Sam jeta un coup aux lits simples avant de revenir sur Karen. À nouveau, le sourire triste et l’expression pensive revinrent.
— C’est… J’avais l’habitude de voyager avec mon frère. Je n’ai pas vraiment réfléchi quand j’ai pris cette chambre.
— Ton frère n’est pas là ?
Le regard de Sam se durcit et il serra les poings. Avait-elle mis les pieds dans le plat ?
— Plus maintenant, répondit-il avec un haussement des épaules. Tu veux quelque chose à boire ?
Karen avait bien compris que Sam voulait changer de sujet. Dans d’autres circonstances, elle aurait peut-être insisté. Mais pas ce soir. Ce soir, elle avait juste envie de profiter de sa soirée.
— Juste un verre d’eau.
Sam sortit deux verres du placard et les remplit d’eau du robinet. Puis, il en tendit un à Karen. Ils sirotèrent leur boisson, les yeux dans les yeux, comme s’ils ne pouvaient plus se quitter. Le temps sembla ralentir. Karen posa son verre sur la table à côté et s’avança vers Sam. Les yeux de ce dernier s’étaient assombris de désir.
Karen s’arrêta à quelques centimètres du visage de Sam. Il prit une inspiration discrète et baissa la tête lentement pour laisser du temps à Karen de s’en aller si elle en avait envie. Mais elle resta là, le visage levé vers Sam, et accueillit ses lèvres en fermant les yeux. Sam passa une main dans ses cheveux et écrasa presque ses lèvres contre les siennes. Karen entrouvrit la bouche et approfondit le baiser. Sam laissa passer un son de plaisir bas qui fit vibrer Karen, l’attrapa de son autre main par la taille après avoir posé lui aussi son verre sur la table et l’attira contre lui pour coller leurs deux corps.
Alors que le désir lui pinça le ventre, Karen passa ses mains autour de son cou, ses doigts caressant la nuque de Sam de haut en bas, jouant avec les mèches de cheveux. Son geste donna la chair de poule à Sam et le fit soupirer contre ses lèvres. Elle ne put s’empêcher de sourire dans le baiser, satisfaite de son effet sur l’homme. Sam embrassa son sourire, du milieu de ses lèvres jusqu'au coin de la bouche puis il se recula et regarda à nouveau Karen dans les yeux. D’aussi près, elle arrivait à voir les nuances vertes et grises des yeux de Sam.
D’un commun accord silencieux, ils s’embrassèrent à nouveau, de manière plus pressée, urgente, comme s’ils n’avaient qu’une envie ; exécuter ce que le désir exigeait d’eux.
Sam prit les choses en main rapidement en attrapant les cuisses de Karen et la hissant à sa hauteur. Le soudain changement de hauteur la surprit et elle lâcha un petit cri embarrassant qui fit rire Sam.
— Tais-toi, fit-elle un peu essoufflée en le frappant gentiment sur l’épaule. Ne te moque pas de moi.
— À tes ordres.
Sam l’embrassa à nouveau et marcha vers le lit. La chute sur le matelas fut renversante mais Karen s’y était attendue.
Maintenant qu’elle était allongée avec Sam au-dessus d’elle, elle se rendit vraiment compte qu’il était imposant. Ses épaules larges, ses bras musclés, ça aurait pu lui rappeler Matt, mais il y avait quelque chose de plus retenu et en même temps de plus sauvage chez Sam, comme s’il se retenait, qu’il se montrait plus calme qu’il n’apparaissait.
— Je pourrais te laisser me prendre en photo si tu veux, remarqua Sam, amusé.
Pour une fois, Karen n'était pas embarrassée par cette remarque.
— Je ne dirais pas non.
Sam plongea sur ses lèvres, ses coudes supportant son propre poids plutôt que d’écraser Karen. Au bout d’un moment, elle en eut marre et renversa leur position. Elle n’était pas maigrelette, mais elle se rendait bien compte qu’elle n’aurait pas pu le pousser de cette manière s’il ne s’était pas laissé faire. C’était quelque chose qui l’excitait plus qu’elle ne l’aurait pensé. Et Sam n’était pas indifférent par cette nouvelle position. Karen rassembla ses cheveux et les mit devant avant de se saisir de la fermeture éclair de sa robe. Sam s’assit et se rapprocha d’elle. Il posa ses doigts sur les siens et fit coulisser la fermeture pour exposer le dos de Karen.
Sam l’embrassa à nouveau et Karen s’abandonna dans l’extase.
La sonnerie insistante de son téléphone réveilla Karen. Elle sut immédiatement qu’elle était seule dans le lit car le poids de Sam dans le matelas n’était plus là. Quand elle ouvrit les yeux, elle comprit qu’elle était même seule dans la chambre. Sur la table de chevet, on avait laissé un morceau de papier. Karen s’en saisit et lut le mot :
« Je ne voulais pas te réveiller.
J’ai demandé au réceptionniste de ne pas entrer dans la chambre tant que tu n’étais pas sortie. Merci pour cette soirée qui s’est bien mieux finie que je ne l’aurais pensé.
Si un jour l’envie te reprend, n’hésite pas à m’appeler. Je me déplacerai volontiers. »
Karen sourit à la petite surprise que Sam lui avait laissée. Elle passa un doigt sur le numéro de téléphone de Sam et se mordilla la lèvre. Allait-elle vraiment le garder ? Ce n’était qu’un coup d’un soir, il n’y avait rien d’autre que du plaisir, pas de sentiments. Et pourtant...
Quand son téléphone sonna à nouveau, Karen soupira et alla le chercher. Elle lut rapidement le nom associé au numéro et décrocha, un sourire aux lèvres :
— Salut Marcy.
La voix inquiète de Marcy lui répondit et les questions fusèrent. Karen n'arrivait pas à détacher les yeux du lit où elle avait passé l’une des plus belles nuits de sa vie, le mot de Sam encore entre ses doigts.